JEAN-PAUL COSTA (1941-2023)
Avec la disparition de Jean-Paul-Costa, survenue le 27 avril 2023, notre Fondation est une nouvelle fois durement frappée. Sa simplicité, sa bienveillance, sa générosité lui avaient conquis tous les cœurs et le chagrin éprouvé par l’équipe qui avait travaillé avec lui pendant dix ans est immense. Il est rare de voir une personnalité unir avec un tel équilibre une intelligence brillante et rigoureuse, au service de convictions profondes et une sympathie chaleureuse à l’égard des autres, pleine de délicatesse, faite d’attentions spontanées et de gestes discrets. Il était un « honnête homme » dans tous les sens du terme, un homme de cœur et un homme de culture, un sage ne séparant jamais science et conscience. On ne pouvait l’approcher sans avoir des sentiments immédiats d’admiration, d’estime et de respect. C’est dire combien sa disparition est une perte personnelle pour tous ceux qui l’ont approché, car on ne pouvait le connaitre sans l’aimer. Nous partageons tous le deuil de sa famille, réunie autour de Brigitte, son épouse si proche, et de ses enfants.
Né à Tunis, le 3 novembre 1941, il avait fait des études brillantes au lycée Carnot de Tunis, puis à Paris au lycée Henri IV, comme il l’avait rappelé lui-même récemment en rendant hommage à son condisciple de la classe de philosophie, Paul Tavernier. Combinant des études à la faculté de droit et à Sciences Po, Jean-Paul Costa était entré à l’ENA, dans la promotion Montesquieu – tout un programme pour ce grand libéral qui trouvera un enracinement en Dordogne. Sa carrière au Conseil d’Etat alternera fonctions contentieux et responsabilités administratives, notamment dans le domaine encore nouveau du droit de l’informatique, qui lui vaudra ses premiers contacts avec le Conseil de l’Europe. Lors de l’alternance de 1981, il devient directeur de cabinet d’Alain Savary au ministère de l’Education nationale, avant de revenir au Palais-Royal en 1984 comme rapporteur général de la section des études et du rapport, puis d’être secrétaire général de l’Institut français des sciences administratives. Il sera également président de la Commission d‘accès aux documents administratifs (CADA). Parallèlement il ne cessera d’enseigner les « libertés publiques », comme professeur associé à l’université d’Orléans puis à l’université de Paris I.
La mise en place de la « nouvelle » Cour européenne des droits de l’homme, à la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n°11 en novembre 1998, marque un tournant décisif dans sa vie, lorsqu’il est élu juge au titre de la France en 1998. Il siégera au sein de la Cour jusqu’en novembre 2011. D’autres diront son rayonnement intellectuel et son influence sur la politique juridique de la Cour de Strasbourg, d’abord comme juge, puis comme président de la Cour à partir de novembre 2006. Lui-même a témoigné trop modestement de son expérience unique dans un ouvrage de souvenirs juridiques sur La Cour européenne des droits de l’homme : Des juges pour la liberté (Dalloz, 2013, 1ere ed). Mais cette longévité exceptionnelle marque la confiance de ses pairs, alors que la Cour affrontait déjà de nombreux défis. Tout en assurant la cohérence d’une jurisprudence devant s’appliquer à une Europe élargie aux nouvelles démocraties, le président Costa sut inventer une « diplomatie judiciaire » pour permettre l’entrée en vigueur du Protocole n°14, une réforme indispensable pour gérer en temps utile un contentieux de masse, malgré la longue obstruction de la Russie. Il est significatif qu’un des derniers textes publiés dans la Revue trimestrielle des droits de l’homme par Jean-Paul Costa soit un constat lucide portant sur « les conséquences de la sortie de la Russie du Conseil de l’Europe » (2023/1).
Jean-Paul Costa était devenu un Strasbourgeois d’adoption, très actif dans les milieux culturels, mais son engagement ne pouvait s’arrêter là. Pendant près de dix ans, il sera président de l’Institut international des droits de l’homme qu’il transformera en Fondation René Cassin et guidera d’une main sûre, contribuant à la transmission d’une conception française et universelle des droits de l’homme héritée de René Cassin, qui avait été avant lui le premier juriste français à devenir président de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est assez dire que les attaques contre le « droit-de-l’hommisme » ou les nouvelles formes de maccarthysme, faisant de la Cour de Strasbourg un bouc émissaire de tous les maux de la société, lui semblaient profondément blessantes. Il récusait l’amalgame démagogique sur le « gouvernement des juges », là où il n’y a pas d’Etat sans droit et pas de droits sans garantie des droits. Loin de tout optimisme de commande ou de tout opportunisme cédant aux effets de mode, il restait très attaché à une vieille tradition républicaine où le principe de laïcité était un garant de la paix civile, n’ôtant rien aux convictions religieuses de chacun. Loin de tout relativisme culturel, il n’opposait pas une conception européenne des droits de l’homme repliée sur elle-même et une vision universelle ancrée dans les principes et les buts de la Charte des Nations unies. La Convention européenne des droits de l’homme n’affirme-t-elle pas elle-même que les « libertés fondamentales constituent les assises mêmes de la justice et de la paix ». Pendant près de 25 ans, à Strasbourg, au sein de la Cour puis à la tête de la Fondation, le président Jean-Paul Costa aura servi cet idéal, avec un courage, un désintéressement et un sang-froid face aux épreuves et aux attaques, qui inspirent aujourd’hui un respect unanime.
Homme des synthèses, sa force de conviction, sa sincérité et sa tolérance nous manquent en ces temps de crises. Mais c’est avec la ferme volonté de rester fidèle à son œuvre que la Fondation René Cassin, entend continuer son action au service des droits de l’homme, partout et pour tous.
Emmanuel Decaux, Président de la Fondation René Cassin
Sébastien Touzé, Directeur de la Fondation René Cassin